Baal (1919)

Pourquoi être acteur pour Christine Letailleur et pas pour vous ?
C’est plus agréable d’être acteur dans les mises en scène des autres. J’aime me déplacer dans leurs univers. Avec Christine, il y a une vraie complicité et nous avons le même amour du texte. Pour mon spectacle, j’avais la distribution parfaite. C’est tellement de la dentelle entre les trois qu’il fallait que je sois à l’extérieur pour ne pas me louper.
 
Ce trio, c’est l’histoire d’un couple à géométrie variable…
Plusieurs possibilités de couples. La singularité, c’est que les trois personnages ne sont jamais ensemble. Ils vivent chacun une histoire amoureuse et charnelle avec l’un des autres personnages. Ça pose des questions. Est-ce que c’est possible ? Tenable de vivre plusieurs relations amoureuses ? Est-ce que ça fragilise ou conforte ? C’est une pièce assez noire, d’un noir brillant. Une autopsie du couple.
 
L’an passé, en évoquant Fassbinder, vous parliez de l’actualité, n’est-ce pas la même démarche ?
Non. C’était un geste politique de regarder le monde à ce moment-là. Ici, on est sur une pièce hors du temps qui vise à une universalité. Il y a des gens d’aujourd’hui mais on s’intéresse plus à l’intime, à ce qui se passe dans la chambre, bien qu’il y ait une dimension sociologique. Une réflexion sur le travail aujourd’hui.
 
Que pouvez-vous nous dire du personnage de Baal que vous interprétez ?
C’est un chant rabelaisien, Brecht avant qu’il ne devienne cet homme dogmatique et sérieux, celui qui avait été influencé par Rimbaud et qui aborde frontalement la sexualité. Baal bouffe, Baal baise. C’est une ode à la vie, à la chair, à l’alcool.
 
Est-ce plus facile à jouer que Hinkemann ?
Je ne pars jamais de l’idée de personnage. Ce qui me plaît, c’est d’abord la langue, la poétique, ce qu’on va avoir à mâcher. On part d’un geste littéraire qui n’est jamais le même. Je lis ce qu’il dit pour le vivre. Mon boulot d’acteur, c’est d’arriver à penser ce qu’il dit.
 
Est-ce qu’à chaque nouvelle pièce, on en sait un peu plus sur ce qui vous anime ?
Le personnage de Baal est extrêmement violent avec les gens qu’il rencontre. Il prend et il jette, les femmes notamment. Le travail, ça n’est pas de juger mais de comprendre comment ça marche. Un personnage porte les plus belles choses de l’humanité et les plus dégueulasses. L’interprète est barbare et civilisé, le bourreau et la victime à Auschwitz. En sortant, j’aurais élargi le spectre de ma compréhension du monde.
 
Est-ce qu’on va continuer à vous voir au TNB ?
Arthur Nauzyciel est quelqu’un que j’aime énormément, que j’ai invité sur ma première saison à Strasbourg. Il a associé beaucoup d’artistes, alors on me verra peut-être moins mais on va continuer à me voir.

propos recueiillis par Patrick Thibault